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Monologues

"Vous avez marché pour moi"

Un texte en hommage à ceux qui m'ont soutenue et portée lors d'événements difficiles. 
Un texte en hommage au Rire Médecin qui doit beaucoup à ce choix de faire du théâtre de ma vie. 

 

 

C’était comme si tout le monde s’était donné rendez-vous là,
Juste là,
Bien profond, là, au centre de mon ventre
C’était comme si mon ventre n’était plus qu’un énorme carrefour où les routes se coupent et se recoupent
Et tout ce mouvement dedans ça brûle, ça empêche de dormir, ça vous mange l’intérieur, ça creuse encore plus profond et ça donne envie de rentrer, de tout extirper, de faire sortir
Tout.
Mais le chantier continue et les routes se multiplient
et ça coure au-dedans, ça crie, ça fuse.

Ces routes là, elles nous ont fait traverser la France
Je me souviens
Je me souviens bien de cette nuit là,
le ronronnement du moteur, les kilomètres qui défilent comme pour rattraper le temps
et engourdie sur cette banquette arrière, saoulée de vitesse, je me suis endormie pour une fois
C’était comme si pour une fois je devais dormir pour trois
Dormir pour soulager vos yeux à vous deux qui ne les fermiez pas à l’avant de la voiture.

Je crois que jamais nous ne sommes allés si vite.
Arrivée. On coupe le moteur. C’est là que le chemin s’avance.
Il nous restait à marcher.
Et vous avez marché pour moi.

Je me souviens,
l’image se fait, très nette
Cette chambre,
ce sous-sol,
cette petite fenêtre en hauteur pour capter la faible lumière grise du matin
le Silence
les pas dans le couloir
l’horloge qui compte les tours d’aiguilles

Et c’est venu d’un coup
C’était comme si tous ces gens s’étaient donnés rendez-vous là
Juste là
Tout autour de moi
Pour regarder tout ce monde là qui bougeait à l’intérieur,
pour regarder au travers
essayer de comprendre ce que j’étais –moi- dedans
peut-être pour essayer de détruire tout ce chantier, là, avant qu’il me dévore, qu’il me ronge toute entière
Et moi là-dedans- je ne voyais rien
Mais j’ai bien vu vos yeux silencieux
Et dans ce mouvement, c’est le silence qui s’est invité
et la peur qui a pris sa place au-dedans. 

Vous avez marché pour moi.
Un autre couloir, une autre chambre
Pour y poser tout ce poids du dedans.
J’y ai posé mon sac
C’était comme si j’étais la seule à ne pas savoir que je le posais pour longtemps.

Je me souviens
Je me souviens bien de cette fin d’été là,
vos cartes postales m’offraient le Soleil,
et tous ces noms de chambres
-Pervenche, Pivoine, Coccinelle, Tulipe-
qui font respirer l’air frais qu’il n’y a pas

Et la musique s’est peu à peu installée
et vous avez marché pour moi.


Nous avons pris le tempo
et vous avez dansé avec moi
Vous avez ouvert les yeux pour moi
et sur la musique j’ai suivi le pas.

Et c’est venu d’un coup
les rires ont jailli.
C’était comme si tout le monde s’était donné rendez-vous là,
Juste là
Là où on n’attend plus personne.
Ils sont entrés
En dansant
Tout ceux –là- nez rouges et cotillons
Pour peupler les couloirs aux noms de fleurs
Pour habiter les regards 

Ils débarquaient sans crier gare
- ces clowns des hôpitaux, ces comédiens des couloirs gris-
pour une invitation à découvrir leur monde
Et moi je sautais dedans,
pour oublier mon monde à moi et y revenir plus forte
Je sautais dedans, sans hésiter,
Pour jouer avec les mots, pour jouer avec les sons
Pour recréer la vie, là où tout est possible.
Et dans ce monde-là les choses deviennent ce qu’on en dit
et si on regarde bien, l’image vacille
Le quotidien surprend
et on s’émerveille même d’habitudes.
Les bips et les roues de brancards ne sont plus que la bande son de nos aventures les plus grandes, on quitte les couloirs gris… 

Puis je les ai quittés, pour de vrai
Mais la graine je l’ai gardée,
cette graine qu’ils ont semée ces comédiens.
Et c’est peut-être simplement comme ça qu’elle pousse cette envie de jouer
Et quand elle réveille au milieu de la nuit cette envie-là,
Quand elle rentre au-dedans
Bien profond

Alors je crois qu’on sait ce qu’il nous reste à faire. 

(2007)

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